Lorsque les pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique ont amorcé il y a quelques années leur transition historique, passant d’une économie planifiée à une économie de marché, des pertes d’emplois étaient prévisibles. Le sentiment général était toutefois que le phénomène de chômage élevé serait temporaire : les forts taux baisseraient une fois que le secteur privé naissant commencerait à créer des emplois. Cette idée est cependant battue en brèche par un nouveau rapport de la Banque mondiale, lequel souligne qu’après une quinzaine d’années, le chômage continue à poser un problème dans la région. Ce rapport, intitulé Enhancing Job Opportunities in Eastern Europe and the Former Soviet Union, analyse la situation d’emploi dans 27 pays en transition depuis la chute du communisme. Stefano Scarpetta, co-auteur du rapport, explique que même si au cours de la dernière décennie et demie, tous les pays de la région ont effectué d’imposantes réformes, les opportunités d’emploi sont limitées dans la plupart d’entre eux. Principales implications «Depuis 1990, les résultats économiques de cette région se sont améliorés de façon spectaculaire», indique Arup Banerji, superviseur du rapport et Chef sectoriel au Département de l’économie du développement humain de la région Europe et Asie centrale (ECA) de la Banque. «Mais à moins que la région ne crée des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité, la réduction de la pauvreté observée ces dernières années pourrait s’enliser. À son tour, cette situation affaiblirait effectivement l’appui politique dont jouissent les réformes», avertit-il. Un problème à dimensions variables Le rapport souligne que le problème lié au marché du travail varie considérablement d’un pays de la région à l’autre. «Dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne et dans les pays en voie d’adhésion, le problème qui se pose sur le marché du travail est en réalité celui du chômage, et de sa longue durée », déclare Stefano Scarpetta, co-auteur du rapport, Conseiller pour le marché du travail et Économiste principal des services du Vice-président de la Banque chargé du développement humain et de la protection sociale. «Ces pays affichent souvent des taux de chômage à deux chiffres et environ 50 % de leurs chômeurs passent plus d’une année à la recherche d’un emploi». Selon le rapport, même dans les pays où la restructuration est plus rapide, tels que la Pologne et la République slovaque, le chômage a frappé respectivement 19 et 18,2 % de la population active en 2004, malgré les taux élevés de croissance économique. «Ailleurs, dans les pays à faible revenu de l’ex Union soviétique, le problème est véritablement lié à la qualité des emplois. La population active a bel et bien du travail, mais il s’agit en général d’emplois à très faible productivité et à bas salaires», précise Jan Rutkowski, Économiste principal de l’ECA et autre co-auteur de l’étude. Le rapport relève que dans les pays de l’ex-Union soviétique où la réforme est plus lente, comme l’Azerbaïdjan, le Moldova et l’Ukraine, une importante partie de la population active se retrouve dans des emplois à faible revenu ou a dû se replier sur l’agriculture de subsistance. Des emplois en mutation Dans l’ensemble, il ressort du rapport que le plus grand changement survenu depuis la transition est le passage d’une situation où les emplois sont stables, bien que modérément rémunérés, à une autre où les emplois sont moins stables et offrent de meilleurs potentiels de gains. Le rapport signale cependant que dans les pays à faible revenu de l’ex-Union soviétique, ce sont les emplois occasionnels et informels qui ont augmenté de façon remarquable, au point d’atteindre désormais des niveaux à peu près comparables à ceux des pays en développement. La mutation de la nature des emplois a — dans l’ensemble — eu une incidence plus importante sur les hommes que sur les femmes. Nombre d’emplois ont été perdus dans les secteurs dominés par les hommes tels que l’industrie lourde. En revanche, les femmes ont eu tendance à accéder plus facilement aux nouvelles activités créées dans le secteur des services. Stratégies pour l’avenir Le rapport recommande une approche sur deux fronts pour créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité, tout en soulignant que sur le plan politique, la création d’emplois viables et durables renforcera l’appui nécessaire pour poursuivre la libéralisation de l’économie. D’après M. Scarpetta, le premier front a trait à l’amélioration du climat de l’investissement, grâce à l’aménagement d’un cadre offrant à tous les types d’entreprises des incitations à investir, à étendre leurs activités et à embaucher davantage de travailleurs. Bien que la plupart des pays de la région aient amélioré leur climat de l’investissement ces dernières années, de graves obstacles subsistent. Par exemple, l’exploitation d’une entreprise dans les pays à faible revenu de l’ex-Union soviétique comporte des risques élevés, en raison du fait que les droits de propriété ne sont pas garantis, l’exécution des contrats laisse à désirer et les infrastructures ne sont pas fiables. Quelques-uns des obstacles rencontrés dans les pays à revenu intermédiaire de l’ex-Union soviétique ― tels que le Bélarus, le Kazakhstan, la Russie et l’Ukraine ― sont liés à l’existence d’une bureaucratie trop lourde, à une réglementation inefficace et à l’exigence d’une multitude d’autorisations. En Europe centrale et de l’Est, l’activité économique est entravée par des coûts directs élevés tels les impôts, et par une réglementation excessive du marché du travail. Stefano Scarpetta explique que le deuxième front de l’approche porte sur «le renforcement de la capacité d’adaptation du marché du travail, par la création d’un marché qui offre à l’employeur des incitations appropriées à recruter davantage de travailleurs, tout en fournissant à l’employé de l’aide pour passer d’un travail à un autre». De manière générale, toutefois, M. Scarpetta indique que les emplois étant créés par les jeunes petites entreprises privées, les pouvoirs publics doivent préconiser des réformes favorables aux affaires, car le problème du chômage ne saurait être résolu tout simplement en investissant dans des mesures actives d’aide à l’emploi. «Les programmes et les politiques d’emploi permettant de retenir les travailleurs ou d’aider les chômeurs ne suffiront pas à résoudre le problème sous-jacent», conclut-il. |